Vous avez cherché à faire fortune en créant votre maison d’édition ? Ce qui m’intéresse c’est surtout la recherche fondamentale. En voyant les œuvres que publiaient L’Association, Cornélius ou la petite édition dans les années 90, j’ai pensé que ça allait intéresser les gens et qu’il fallait s’engouffrer dedans. Finalement un livre rapporte à peine de quoi financer le suivant, mais je me suis pris de passion pour cette bande dessinée novatrice. Et puis tout ça ne me coûte rien : les auteurs ne sont pas payés, le papier est récupéré, on utilise l’atelier de sérigraphie de l’École des Arts Décoratifs de Strasbourg.

Pourquoi les Arts Décos ? La plupart de mes auteurs en sont des anciens élèves, l’atelier d’illustration de l’École à une excellente réputation, et beaucoup d’entre avaient commencé à s’auto-éditer, à faire des fanzines…

Comment les avez-vous choisis ? J’en ai appâté quelques-uns en leur promettant un endroit bien au frais pour travailler et après je leur ai fait confiance pour m’amener de nouveaux escl… auteurs qu’ils connaissaient où qu’ils ont rencontré. Des gens intéressés par la recherche graphique et narrative, prêt à tout pour avoir cette liberté.

Mais ils sont forcés de fabriquer eux-mêmes leurs livres non ? Pour être libres, ils doivent être enchaînés à la production.

On dirait un slogan de 1984 : « La liberté c’est l’esclavage »… La totale liberté de création c’est le contrôle de la fabrication de A à Z ! Travailler en collectif leur permet aussi d’échanger des points de vue, de suggérer des modifications, d’aller toujours plus avant. En fait, avec nos maquettes style 1900, on serait plutôt arrière-gardistes. C’est une position qui permet d’innover sans être attendu au tournant, de rester libre, plus serein sur l’aspect créatif. L’avant-garde c’est un vrai combat, une posture à tenir : ici on se contente de contribuer à élargir la voie ouverte et défendue par l’Association et Cornélius.

Et ça donne quoi ? Des couvertures sérigraphiées, des intérieurs en noir et blanc en neuf collections pour des prix minuscules. En fait on crée presque une nouvelle collection pour chaque livre. En Morille, des livres objets, on a par exemple Le Tricot de Marie Michel. Il faut ouvrir le livre et tourner une manivelle pour dérouler le papier : une lecture sur rouleau telle qu’ont pu la pratiquer les Japonais. Il y a aussi Pyschoprophylactique relatif de Jonvon Nias dont le 3e volet Bigle, en Shiitake, une collection au format poche-manga, fait intervenir plusieurs auteurs et compte plus de 500 pages. En Coprin noir d’encre, des formats plus classiques, on trouve notamment J’ai toujours voulu être une héroïne de bande dessinée d’Ariane Pinel qui décline son thème « voulu être » en plusieurs saynètes. Enfin je suis un peu obligé de citer en Levure, livres « journaux » dépliables, Le Périodique du commissaire de Papier Buvard de mon… aide à domicile Sylvain Moizie, qui retrouve là un peu de la liberté créatrice que grèvent la coordination des auteurs et la gestion de l’association.

S’ils sont si doués que ça vos auteurs, pourquoi ne tentent-ils pas de s’évader ?Pour relâcher un peu la pression je tolère qu’ils fassent des escapades chez d’autres éditeurs, certains en profitent même pour ne jamais revenir sous prétexte qu’ailleurs ils sont payés pour leur travail ! Il y a entre autres Simon Hureau chez ego comme X, Delcourt et bientôt Futuropolis, Sylvain Moizie à la Boite à bulle, l’Oeuf et prochainement Delcourt, Freddy Nadolny Poustochkine qui sortira La Chair des pommes chez ego comme X…

Qu’est-ce que leur a apporté l’Institut Pacôme selon vous ? Je leur ai permis de trouver leur personnalité narrative sans tomber dans l’égocentrisme ou sans être façonnés par un grand éditeur. D’être des auteurs de bande dessinée au sens plein plutôt que d’être des seulement des dessinateurs, des faiseurs de BD.

Propos recueillis par Fabien Texier (avec la participation de Sylvain Moizie) Polystyrène n°100 (septembre 2006)